Batterie

Soleil, je t’adore comme les sauvages,

à plat ventre sur le rivage.

 

Soleil, tu vernis tes chromos,

tes paniers de fruits, tes animaux.

 

Fais-moi le corps tanné, salé ;

fais ma grande douleur s’en aller.

 

Le nègre, dont brillent les dents,

est noir dehors, rose dedans.

 

Moi je suis noir dedans et rose

dehors, fais la métamorphose.

 

Change-moi d’odeur, de couleur,

comme tu as changé Hyacinthe en fleur.

 

Fais braire la cigale en haut du pin,

fais-moi sentir le four à pain.

 

L’arbre à midi rempli de nuit

la répand le soir à côté de lui.

 

Fais-moi répandre mes mauvais rêves,

soleil, boa d’Adam et d’Eve.

 

Fais-moi un peu m’habituer,

à ce que mon pauvre ami Jean soit tué.

 

Loterie, étage tes lots

de vases, de boules, de couteaux.

 

Tu déballes ta pacotille

sur les fauves, sur les Antilles.

 

Chez nous, sors ce que tu as de mieux,

pour ne pas abîmer nos yeux.

 

Baraque de la Goulue, manège

en velours, en miroirs, en arpèges.

 

Arrache mon mal, tire fort

charlatan au carrosse d’or.

 

Que j’ai chaud ! C’est qu’il est midi. 

Je ne sais plus bien ce que je dis.

 

Je n’ai plus mon ombre autour de moi

soleil ! ménagérie des mois.

 

Soleil, Buffalo Bill, Barnum,

tu grises mieux que l’opium. 

 

Tu es un clown, un toréador,

tu as des chaînes de montres en or.

 

Tu es un nègre bleu qui boxe

les équateurs, les équinoxes.

 

Soleil, je supporte tes coups ;

tes gros coups de poing sur mon cou.

 

C’est encore toi que je préfère,

soleil, délicieux enfer.

Référence bibliographique

 

Cocteau, Jean, « Batterie », Poésies complètes, Paris, Gallimard, 1999.

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